vendredi 2 décembre 2005

Nightmare

C'est à Lyon. Je rentre. Il est tard, je suis fatiguée. J'ai laissé les uns et les autres derrière moi. "On t'accompagne si tu veux". "Non merci çà va aller, j'ai l'habitude, vous inquiétez pas". Et puis j'aime rentrer seule quand cette ville d'habitude si arrogante est endormie. Il n'y a personne dans ses rues. Elle m'appartient. Elle est à moi, en tête-à-tête. J'aime cette sensation. Mais ce soir il fait trop froid. J'ai mis ma capuche pour me protéger un peu. Je marche vite en rasant les murs, je tourne au plus court, j'ai hâte d'être arrivée. Je fais de la buée. Je suis un peu malade. Ma respiration est presque trop bruyante dans ce sommeil. Je m'engage dans ma rue. Je vois mon immeuble. Plus que 200 mètres. Quand j'entends soudainement des pas martelés le trottoir. Plus vite. Encore.C'est dans mon dos. De plus en plus proche. J'ai l'impression que quelqu'un court. Je ne veux pas me retourner. Je marche plus vite. Pas assez. Trop tard.On me hèle. Je ne peux pas y croire. Je regarde désespérement la lourde porte de mon immeuble. Trop tard pour m'y engouffrer, trop risqué. Et il n'y a toujours personne. Je m'arrête, je me retourne. Juste lui et moi. Il est bien habillé, il porte des chaussures italiennes. Le ton est badin mais il y a quelque chose. Le regard, la subtile écume de salive à la commissure des lèvres. J'ai déjà vu, je connais déjà. Des sirènes hurlantes viennent de retentir de partout dans ma tête. Je fais un cauchemar je vais bien me réveiller. Je regarde à droite à gauche. Et il n'y a toujours personne. Si, les caméras, il y a bien les caméras. Il y a bien quelqu'un d'autre. Comme une prière, réveille toi grand frère, prends soin de moi. Mais là sur ce trottoir, que lui et moi. Je me glace. Je sens la peur. Ses yeux me fixent, me percent. Il n'est pas très grand mais trappu, très dense. On dirait un lutteur. Je sens une grande force en lui, quelque chose de très soudain, intense, violent. J'ai l'impression d'être anorexique. Je ne suis plus que proie. Je ne suis plus rien. Et il n'y a personne, il est 2h45 du matin. Pas une voiture. Même pas un chat. "Je vous ai vue, toute seule, je vais vous accompagner si vous voulez". Toujours les sirènes hurlantes, harcelantes: Rester calme, être polie, ne pas paniquer, ne pas courrir, affronter de face. Je m'engourdie. J'ai peur de trembler, d'être faible. "Non merci, je suis une grande fille vous savez, mais c'est sympa, bonne soirée". Je me force à sourire et je tourne les talons. Je peux sentir son souffle derrière moi. Il insiste. "Non mais attends j' te dis, je vais pas te bouffer, on sait pas c'qui peut t'arriver". Il m'a saisi le bras fermement. Je suis figée, prise au piège. Il n'y a toujours personne. Ne pas paniquer. "Ecoutez, je vous dis que çà va aller, je saurais bien me débrouiller toute seule". J'ai laissé échapper un peu d'impatience, j'ai parlé trop vite. Il le sait. Il me regarde avec un sourire en coin. J'ai l'impression d'y voir des crocs. Il me déshabille du regard. J'ai froid. Je tremble. "Et si j'étais blond aux yeux bleus tu aurais surment dit oui, hein pétasse". Son regard change comme un chat quand il va attaquer. La pupille se dilate. Et il n'y a toujours personne. Les yeux sont exhorbités, hypnotiques. J'ai peur, je suis bientôt paralysée. Je me fissure, mes paroles s'emballent. "Lâche moi espèce de connard si t'es complexé j'y peux rien j'suis pas ta mère". C'était trop. Les yeux sont maintenant tout noirs. Il va se jeter sur moi. Cà va arriver. Je me dégage brusquement d'un geste. J'ai donné le signal, il se jette sur moi. Je recule. Je l'esquive. Je trébuche, je tombe en arrière. Il revient sur moi le visage transfiguré. C'est un bête féroce, un monstre. Je vois ses crocs. Il vocifère. Je prends un coup de pied, fulgurant, dans le ventre. Je suis à terre. Moins qu'une déjection, je ne suis plus rien. Comme une libération, je hurle. Encore. Enfin.
En sursaut, je me réveille. Je suis en sueur. Je respire bruyemment. Mon coeur va se rompre. J'en rêve encore.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"Le monstre est...l'ensemble des forces destructrices qui sommeillent en nous, toutes ces pulsions dont nous ne sommes pas maîtres, tous nos côtés 'monstrueux' qui ne demandent qu'à se réveiller... Dans son étude sur l'Ombre, Dominique Charrière cite plusieurs exemples de comportements où s'expriment ces pulsions ravageuses: actes de violence, sadisme, cruauté, autodestruction, tout ce qui inflige la souffrance avec intention de faire mal, jalousies, dominations, chantages affectifs, fuite dans l'imaginaire, délire, folie, mysticisme aigu, boulimie, alcool ou drogue." Hélène RENARD